On ne réfléchit pas quand on est en foule [Misaki]

-Je compte t’emmener dans un endroit que j’affectionne beaucoup. Ce n’est pas très loin…

Je me laissai guider par Erkan sans émettre de protestation. Après tout, il devait mieux s’y connaître que moi. Je ne connaissais pas très bien la ville, à part mon studio , le Papillon Noir, et le centre-ville, tout restait flou et imprécis à mes yeux. Apparemment, Erkan avait l’habitude de marcher rapidement, je sentais comme une tension émaner de lui tandis qu’il s’efforçait de ne pas presser la cadence. Pourtant, je faisais de grands efforts pour ne pas me traîner. J’avais plus l’habitude de flâner en général. Je prenais le temps de tout regarder autour de moi, comme si je contemplais un rêve. J’avais barricadé mes pensées noires tout au fond de mon cœur, et le spectacle des ruelles encore inexplorées par mes soins me captiva. Je n’étais jamais venu dans ces lieux ci, et je fus émerveillée d’y découvrir toute une vie nocturne et pittoresque. Je dévisageai les passants, curieux. Je n’avais pas l’habitude de trainer la nuit dans ce genre de quartiers. Quand je sortais dans ces tranches horaires, j’avais plus envie de me retrouver seul, à contempler le reflet de la lune, loin de toute l’agitation du monde extérieur.
Alors que je me laissais guider, aveuglément, une musique me titilla les oreilles. Et je compris que nous étions arrivés à la boite. La remarque d’Erkan sur son coma éthylique me tira un sourire amusé. Dans la ville où je m’étais rendu précédemment après ma fugue, j’avais connu des amis qui étaient très portés sur la boisson. Ils buvaient beaucoup, jusqu’à en tomber et avoir une sacré gueule de bois le lendemain. J’avais l’habitude de les réprimander sévèrement, parce qu’ils en faisaient une habitude et que j’avais eu peur pour leur santé. Les anciennes disputes me revinrent à l’esprit, et bizarrement elles me firent sourire. Parce que c’étaient des disputes sans importance et sans méchanceté. Personne ne voulait quitter sa position, alors que chacun de nous savaient que l’autre avait raison, et vice versa. Des chamailleries de gosse en somme, au milieu du bar, avec les commentaires des clients au passage. Ces anciens amis me manquaient, le taximan au grand chœur, et le barman au chapeau de cowboy. Et il y avait aussi…ce mec blond et complètement fou qui m’avait fait goûter à ma première gorgée d’alcool. Le barman avait hurlé quand il l’avait su, sous prétexte que je n’étais qu’un enfant, et qu’un enfant ca ne buvait pas !
Je me mis à rire tout seul à ce souvenir.
Quand je vis le nombre de personnes qui y étaient entassés, je fus soulagé qu’Erkan me prit la main pour ne pas me perdre. Je serrai très fort la sienne, affolé à l’idée de me retrouver perdu au milieu de tant d’inconnus.

- Merci beaucoup, remerciai-je quand Erkan commanda à boire.

Je n’avais pas entendu ce qu’il avait commandé, trop occupé à regarder ce qui nous entourait. Je mourrai de soif, je venais simplement de m’en rendre compte, et puis quelle bonne idée de commander du jus de fruit ! Je contemplai la salle bondée en secouant la tête au rythme de la musique, me mettant à fredonner par habitude. Puis je vidai mon verre illico. C’était si bon et sucré que je n’arrivais pas à m’arrêter, mais il y avait un drôle d’arrière goût aussi…
Est ce que derrière cet innocent jus de fruit se cachait un autre liquide, ? Ma gorge me brûlait un peu, j’avais l’impression d’avoir déjà connu cette sensation.

- Oula c’est fort, ce truc là, commentai-je en reposant mon verre vide.

C’est là que la musique fit place à une autre, une un peu plus rock que je reconnus immédiatement .

- Yeeeah, m’exclamai-je tout content, viens Erkan, on va danser !

Je lui attrapai le bras pour l’emmener avec moi. Je me sentais tout d’un coup en pleine forme. Je m’inquiétai en même temps à propos du jus de fruit, je ne buvais pas souvent de l’alcool et quand c’était le cas, je terminai dans un drole d’état….très amusant pour certains

Je dansais sans me soucier des autres gens sur la piste. Me laissai guider par mon instinct. J’étais rassuré qu’Erkan soit avec moi. Et il dansait tellement bien que je trouvais ça fascinant. Comme les lumières de couleurs qui se répercutaient ça et là dans la boite. Je fermais un instant les yeux, écoutant simplement le rythme de la musique. Je me sentais léger…
Et à la fois tout semblait tourner dans un tourbillon magique. Ca embellissait tout d’une façon magique…
Même mes mouvements me paraissaient plus simplifiés. Moi qui d’habitude si timide, bougeais à peine, je dansais complètement à l’aise. Je ne savais pas pourquoi, j’avais à l’image ma sœur quand j’entendais cette musique. Sa manière qu’elle avait de valser et tournoyer comme une ballerine. Légère et libre.
Quand je rouvris les yeux, et que les lumières me parurent vraiment trop éblouissantes, je compris que je commençais à être pompette. C’est là que la voix d’Erkan me fit tressaillir et que je remarquais le nouveau venu.
Petite pause, pendant que j’essayais d’analyser la situation. Mon cerveau semblait avoir du mal à faire une connexion de ce que je voyais et entendais. Je secouai la tête. Puis regardai, Erkan, un peu dépassé par les évènements.
C’est là que je le vis.
Un gros aura noir qui tournicotait autour de mon ami, une grosse vague sombre de colère et d’agacement. Cette colère qui était directement dirigée vers un homme que je n’avais jamais vu ni d’Eve ni d’Adam.
Il m’adressa la parole, avec beaucoup de désinvolture, et de manière très séductrice qui me mit dans l’embarras, et je dus rougir évidemment. Quand il dit que mon prénom était joli, je bafouillai un « merci » complètement stupide, parce qu’en fait ce que je trouvais de plus joli c’étaient les dessins que formaient les lumières sur la joue d’Erkan, mais je me gardais bien de le dire. Vu que celui-ci semblait sur le point de se disputer avec cet homme avec qui visiblement il ne s’entendait pas, mais pas du tout.
Je soupirais, ennuyé par cette interruption. Ne pouvaient-ils pas simplement danser ?
L’inconnu dut faire une allusion qui déplut fortement à Erkan, parce que brusquement, je sentis son contact contre mon cou. Au début, je crus qu’il voulait me chuchoter quelque chose à l’oreille, mais il m’embrassa. Je n’avais pas du tout calculé son geste, et cela me surprit tellement que je restais sans réaction, tout raide, pendant une minute entière. Mais qu’est ce qu’il lui prenait ? Avais je loupé un épisode ?
J’étais en train de me réembobiner la scène quand Erkan s’éclipsa pour aller aux toilettes. Alors, je me retrouvais comme un crétin devant un gars que je ne connaissais pas, mais que je n’aimais pas tout simplement parce qu’à cause de lui, Erkan venait de me planter là, et on se regardait tous les deux avec des têtes de merlan frits.

- Hum, fis-je, excusez moi….

Je pris congé, pour rejoindre Erkan aux toilettes. Je me glissai comme un serpent dans la foule, il y avait tellement de personnes que ca commençait vraiment à m’angoisser d’être tout seul, alors j’arrivai dans les toilettes, essoufflé. J’avais fait valdingué la porte tellement j’étais pressé. Je tournai la tête dans tous les sens pour repérer Erkan, une fois que ce fut fait, je lui sautais dessus sans crier gare, le tirai par la manche pour qu'il me regarde.

- Tu m’expliques ! m’écriai-je, pourquoi tu te comportes si bizarrement ?! Et puis c’est qui ce type louche ? Merci de m’avoir planté comme ça, c’est super sympathique…

C’est là que j’aperçus un robinet d’eau qui coulait. L’eau brillait magnifique, je me précipitais vers elle.

- Elle chante, murmurai-je émerveillé.

Je confirmais. J’étais bel et bien pompette.

-Flash-